Une semaine avec Yuten Sawanishi, ami et écrivain japonais, professeur de littérature à l’université de Kyoto. Nous échangeons l’un et l’autre dans un anglais très moyen. Ses gutturales sont inexistantes, mes constructions grammaticales tremblent sur leurs échafaudages. Il nous arrive d’éteindre l’étincelle de la compréhension dans nos conversations. Je lui montre mon pays que je connais si mal. L’Agneau Mystique à Gand, le béguinage de Bruges, la Mort-Subite à Bruxelles, St-Loup à Namur. Nous passons une après-midi entre les vallées du Condroz à la recherche d’un village qu’il a inventé dans son premier roman « Le village des flamants ». Il a imaginé un hameau du 19ème siècle près de la Meuse, composé de 30 familles ayant des relations avec des flamants roses, sauf un habitant qui préfère faire l’amour avec un chien. Après avoir tournicoté durant des heures, Yuten semble satisfait du hameau de Haltinne avec son château rouge entouré de douves pour accrocher de l'existence à son imagination.
En plus de la passion pour la littérature, ce sont nos goûts pour les mêmes livres qui nous rapprochent. Et puis ce constat, dès qu’il raconte une anecdote, il trouve les mots précis, sans aucun déchet, pour rendre le récit fascinant. Aucun pathos, ni effet de style, uniquement la justesse et l’honnêteté. Le résultat est toujours une histoire d’une incroyable qualité. À la fin de son séjour, j’ai l’impression d’avoir écouté un recueil de nouvelles japonaises de très haut niveau.
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Genre d’histoires racontées par mon ami japonais.
Il y a des métiers bizarres. Lorsqu’il avait 20 ans, Yuten travaillait comme gardien de nuit dans un hôpital de Kyoto ayant la réputation d’héberger des fantômes. Sa principale fonction était de prier les curieux, souvent étudiants comme lui ou fêtards, de ne pas pénétrer dans les couloirs, à la recherche de revenants et autres apparitions d’ectoplasme. Parfois, vêtu du tablier blanc, et marchant lentement avec des mouvements saccadés, le vigile effrayait suffisamment les badauds amateurs de zombis pour les faire détaler. Cela dit, ajoute-t-il, ce job offrait de longs moments de pause pour écrire ou dormir. Une fois, alors qu’il était étendu sur le lit dans sa pièce de repos, un spectre au contour vert lumineux est venu le secouer violemment. Un patient venait de mourir en chirurgie, conclut-il.